Roman Polanski, Ridley Scott et Spike Lee… Le point commun entre ces réalisateurs de génie ? S’être déjà prêté au jeu de la publicité. Le monde du marketing, soucieux de convaincre leur audience, mise sur le Septième Art. Comment faire rimer ADN artistique avec finalité mercantile ? Coup d’œil sur quelques exemples de collaborations, à mi-chemin entre l’artistique et le publicitaire.
Polanski pour une publicité Marie Claire : le cinéma pour séduire les femmes
1984 : Les femmes s’émancipent, aspirent à d’autres idéaux qu’une peau de pêche, des cheveux soyeux et la palme de la meilleure recette de clafoutis à la cerise. Le magazine féminin Marie Claire l’a compris et veut faire peau neuve. Conscient du paradoxe pour un mensuel dont les rubriques axées “cuisine, beauté, mode et décoration”, n’ont pas évolué depuis les années 50, il doit frapper fort pour relancer l’intérêt de ses lectrices. Roman Polanski, qui est alors déjà un réalisateur sulfureux, signe la réalisation du nouveau spot du magazine Marie Claire.
En effet, la féminité a été évoquée dans les œuvres de Polanski à travers la maternité dans Rosemary’s Baby, la société patriarcale avec Tess et le travestissement avec Le Locataire. Avant de faire lui-même l’objet de douze accusations, il traite même de l’agression sexuelle dans Répulsion.
Alors, quelle serait le profil de la lectrice de Marie Claire ? Loin d’être fleur bleue, elle qui fuit le lit tôt le matin après une nuit d’amour. Une touche de mascara lui suffit, elle minimise les heures passées en cuisine et vit à vive allure une vie de femme active.
D’après le spot, la ménagère des 80’s est indépendante, et ne veut plus être cantonnée au rôle de femme au foyer. Le magazine contourne les stéréotypes de la presse féminine. Ainsi, la lectrice Marie Claire se sent comprise, libre de ses choix… Et libre d’aller acheter Marie Claire au kiosque en bas de chez elle ?
Le réalisateur Ridley Scott signe le Black Mirror de l’époque
Le tout premier Macintosh va marquer l’industrie des nouvelles technologies. Steve Jobs le sait et aspire à une publicité à la hauteur de son chef d’œuvre technologique. Pour cela, il lui faut un artiste de renom. Ainsi, son choix s’arrête sur Ridley Scott, déjà encensé par les critiques pour la réalisation d’Alien et de Blade Runner.
De cette alliance naît un court-métrage d’une minute, diffusé à la finale du Super Bowl de l’an 1984. “1984“, c’est le titre du roman visionnaire et satirique du britannique George Orwell. Écrit en 1948, il imagine un futur dystopique où règne hypersurveillance, régime totalitaire et réduction des libertés.
Les fondateurs d’Apple souhaitent que le spot publicitaire s’inspire du roman. “Steve voulait une publicité aussi révolutionnaire et époustouflante qui ce qu’il avait créé” explique le journaliste Walter Isaacson, auteur de la biographie officielle du génie de la tech. Mission accomplie. En effet, le spot met en scène des personnages aux crânes rasés, aliénés, dans une ambiance apocalyptique. Robotiques, semblent sous l’emprise d’une figure aux airs de Big Brother, la métaphore de la dictature orwellienne. Une femme entre en scène, marteau en main, et vient briser le joug du tyran. Symboliquement, elle vient libérer le peuple. Symboliquement, c’est donc Steve Jobs, grâce au Macintosh, qui libère le peuple. Le (modeste) message est passé. À l’époque, il fut le film publicitaire le plus coûteux de l’histoire de la publicité avec un budget d’environ 1,6 million de dollars.
Icônes de la pop culture : Spike Lee et Jordan réunis pour une pub Nike
Les nineties, ce sont des survets Adidas à pression, des walkmans dans la poche sur fond de Suprême NTM. Les 90’s ne connaissent pas encore Instagram, Enjoy Phoenix et les posts sponsorisés pour des produits miracles anti-cellulite. Et, pourtant, les nineties avaient, elles aussi, ses influenceurs. S’il ne fallait en citer qu’un seul, ce serait, de toute évidence Michael Jordan. Son numéro 23 floqué dans le dos, Michael Jordan n’est pas moins qu’une légende vivante des Chicago Bulls et du basket-ball. Jordan signe avec Nike une paire éponyme qui deviendra incontournable dans la culture sneakers.
À la même époque, Spike Lee réalisait des films polémiques de “Malcom X” à “Do the Right Thing” qui divise autant le public que la critique. Prônant une certain #BlackLivesMatter avant l’heure, son personnage public d’intellectuel afro-américain engagé intrigue.
Vient alors à l’esprit de Nike une idée de génie : une collaboration entre Spike Lee et Michael Jordan. Le réalisateur et le basketteur s’allient pour une publicité qui deviendra culte. La mise en scène doit beaucoup à l’opposition des deux icônes empreinte de second degré. Le premier est petit, affublé de lunettes carrées, comique et bavard. L’autre est un géant, impassible et secret. Les deux incarnent à leur façon la pop culture américaine. Exit la tactique publicitaire habituelle qui insinuerait “Achète des Jordans et tu deviendra le roi des dunks” : la cible des 90’s n’est plus dupe. Spike Lee choisit donc de faire passer un message plus subtile : “Avec des Jordans, tu ne deviendra pas une star du basket, tu deviendras juste cool”. Implicitement, il dénonce la dimension mensongère des messages marketing. Emphatique, il se place du côté du consommateur, flatte son égo en insinuant “Tu n’es pas naïf, et on le sait”.
Artistique et publicitaire : une relation pérenne ?
Cinéma et publicité ne cessent de se draguer. La créativité publicitaire a même sa place sur le tapis rouge du Festival de Cannes. Depuis 1954, les films publicitaires sont récompensés sur la Croisette à l’occasions des Cannes Lions.
L’intérêt des marqueteurs pour le grand écran s’explique par un besoin de reconquête de clients dubitatifs. En effet, la naïveté des consommateurs laisse place à la méfiance et la suspicion. Pour les séduire de nouveau, il ont besoin d’une juste dose d’émotion. Pour émouvoir, quoi de plus pertinent que de s’approprier les codes du 7ème art ?
N’oublions pas cependant qu’un réalisateur est avant tout un artiste, qui souhaite conserver son univers et son ADN. Pour que cinéma et marketing puisse séduire, l’aspect artistique ne doit s’éteindre au profit de l’aspect pécunier.